Il était un peu plus de 9 heures du matin lorsque nous avons garé notre voiture à l’entrée d’un domaine entouré de pins. L’air de Đà Lạt, toujours frais même en été, portait avec lui un parfum de résine, d’herbe humide et de nostalgie. Nous étions venus visiter le Palais d’été de Bao Dai, connu sous le nom de Dinh III – la résidence la plus célèbre du dernier empereur du Vietnam.
À cet instant précis, un troupeau de colombes blanches a traversé le ciel au-dessus de nous avant d’atterrir doucement sur la pelouse impeccable du jardin. Leurs ailes immaculées ont brièvement troublé le calme, comme pour saluer notre arrivée. Cette scène presque irréelle nous a immédiatement plongés dans une atmosphère suspendue, entre conte et histoire, entre grandeur fanée et beauté silencieuse.
Un palais modeste mais raffiné, entre art déco et nature
Construit entre 1933 et 1938 par l’architecte français Paul Veysseyre et l’architecte vietnamien Huỳnh Tấn Phát, le Dinh III est bien différent de ce que l’on pourrait attendre d’un palais royal. Deux niveaux seulement, 25 pièces, et une structure rectangulaire au style épuré, marqué par l’influence Art déco. Nulle surcharge. Ici, la sobriété élégante est reine.

En pénétrant dans le hall, nous sommes d’abord frappés par le silence. Tout est feutré, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle pour ne pas troubler les souvenirs. Le mobilier d’époque est toujours en place : fauteuils en velours, bibliothèque en bois sombre, bustes de l’empereur Bao Dai et de son père Khải Định, et surtout cette carte du Vietnam gravée sur verre, pièce maîtresse d’une diplomatie révolue.

Chaque salle semble figée dans le temps, mais pourtant vivante. La salle de réception, le bureau de l’empereur, les chambres privées, la salle de bain impériale, tout respire la retenue et le raffinement d’un homme moderne, éduqué en France, qui rêvait d’un Vietnam moderne, mais s’est vu happé par les tourments de l’histoire.

Le balcon du clair de lune : là où les souverains regardaient le ciel
À l’étage, on débouche sur le célèbre « balcon du clair de lune ». Son nom seul évoque déjà une poésie perdue. C’est ici, dit-on, que Bao Dai aimait venir contempler la lune en silence, ou réfléchir aux affaires du royaume. En sortant sur ce balcon, nous avons été saisis par la vue : un écrin de pins ondulant doucement sous le vent, des parterres fleuris bien entretenus, et au loin les toits rouges de Dalat.

Un sentiment étrange nous a alors traversés : celui d’être à la fois si proches du passé, et pourtant si impuissants à le rejoindre. Ce lieu est un miroir : il reflète à la fois le faste discret d’un empire finissant, et la mélancolie d’un homme déchiré entre ses fonctions, ses convictions, et ses contradictions.
Les objets racontent mieux que les mots
En poursuivant la visite, nous découvrons une série d’objets personnels : des costumes d’apparat, des souvenirs diplomatiques, des photographies en noir et blanc, une valise de voyage, un poste radio d’époque. Chacun raconte quelque chose de l’homme derrière le titre : un empereur, mais aussi un père, un passionné de chasse, un homme de culture.

Les guides présents sur place expliquent les anecdotes avec passion. On apprend par exemple que Dinh III fut le refuge de la famille impériale lors des chaleurs étouffantes de Hué. Et que Bao Dai, très attaché à Dalat, aimait y passer les étés en famille, loin des intrigues de la cour.

Un jardin à l’européenne et une pinède vietnamienne
Après avoir visité les pièces principales, nous sommes sortis dans le jardin du palais. Il est entretenu dans un style européen, avec des allées de fleurs, des haies taillées, des statues, et des bancs de pierre. Mais ce jardin s’ouvre rapidement sur la forêt de pins, typique de la région de Đà Lạt.

Nous avons marché en silence sous les arbres, laissant nos pensées vagabonder. Le bruit de nos pas sur les aiguilles de pin, le chant d’un oiseau lointain, et cette sensation d’être enveloppés dans la mémoire d’un temps révolu, ont donné à cette promenade un caractère presque spirituel.
Un palais habité par la douceur et le regret
Ce qui frappe peut-être le plus, c’est que le Palais d’été de Bao Dai n’a rien de monumental. Il n’a ni la grandeur des palais impériaux de Hué, ni la richesse décorative des châteaux européens. Mais il dégage une profonde humanité. Comme une maison de famille un peu abandonnée, mais encore pleine d’âme.

En sortant, nous avons croisé à nouveau les colombes qui picoraient sur la pelouse. L’une d’elles s’est envolée brusquement, frôlant notre épaule. Était-ce un signe ? Un clin d’œil de l’empereur ? Ou simplement une coïncidence poétique, à l’image de cette visite pleine de grâce discrète ?

Informations pratiques pour les futurs visiteurs :
- 📍 Adresse : Palais d’été de Bao Dai (Dinh III), rue Trieu Viet Vuong, Đà Lạt
- 🕗 Horaires : généralement de 7h à 17h30, tous les jours
- 🎟️ Tarif : environ 40 000 – 50 000 VND par adulte
- 📸 Astuce photo : tôt le matin ou en fin d’après-midi pour une lumière dorée sur les pins
- 🌲 Durée de visite suggérée : 1 à 1h30 (jardin inclus)

Conclusion : une visite douce-amère
Visiter le palais d’été de Bao Dai, c’est plus qu’une sortie touristique. C’est une immersion sensible dans une page oubliée de l’histoire du Vietnam, une histoire d’élégance, de contradictions, d’exil et de beauté discrète. On en ressort ému, calme, peut-être un peu nostalgique, mais certainement plus conscient de la fragilité du pouvoir et de la beauté des choses simples.
