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Maison funéraire de Plei Kép, entre silence et mémoire du peuple Jrai

Ce soir-là, alors que le soleil déclinait lentement derrière les plantations de poivriers et les rangées de caféiers, nous avons quitté la route principale pour nous aventurer vers un lieu hors du temps : la maison funéraire de Plei Kép.

J’avais entendu parler de ce cimetière traditionnel Jrai comme d’un endroit à la fois mystique et profondément enraciné dans la culture locale. Mais rien ne nous avait vraiment préparés à ce que nous allions ressentir une fois sur place.

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Une atmosphère suspendue entre deux mondes

Le site est éloigné du village, presque caché dans une petite clairière boisée, comme s’il voulait rester à l’écart du monde des vivants. L’air y est plus frais, plus lourd aussi. Autour de nous, aucun bruit, si ce n’est celui de nos pas sur la terre sèche. Une légère brume de fin d’après-midi flottait dans les airs, rendant l’ambiance encore plus irréelle.

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Nous étions arrivés dans l’un des lieux les plus sacrés de la culture funéraire Jrai : la tomb-house du village Plei Kép, ou maison funéraire Jrai. Ici, les morts ne sont pas oubliés. Ils vivent une seconde vie, dans un espace qui leur est entièrement dédié, où les rituels, les objets et les statues racontent encore leur histoire.

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Une tradition millénaire entre passé et présent

Dans ce cimetière traditionnel de Plei Kép, chaque tombe porte les traces de l’histoire familiale et du lien sacré entre les vivants et les morts. Les tombes les plus récentes sont regroupées sous des structures couvertes de tôle, entourées de grillages, avec plusieurs sépultures appartenant à une même grande famille. Sur chacune d’elles, on remarque des jarres de rượu cần – ces jarres de vin fermenté avec une paille de bambou – une pour chaque défunt. C’est leur offrande, leur provision pour l’au-delà.

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Mais ce qui nous a le plus frappés, ce sont les statues funéraires en bois Jrai. Ces figures, souvent naïves mais puissantes, représentent les passions ou les traits de caractère des défunts. Un homme qui aimait les éléphants ? Une statue d’éléphant trône près de sa tombe. Un autre qui appréciait la musique ou la chasse ? On devinera son histoire à travers les objets ou symboles taillés dans le bois.

Le rituel Pơ Thi – dire adieu, une bonne fois pour toutes

La présence de ces statues signifie une chose essentielle : le rituel du Pơ Thi, ou la cérémonie de l’abandon de la tombe, a été accompli. Chez les Jrai, les funérailles ne s’arrêtent pas à l’enterrement. Pendant un temps indéfini – parfois des mois, parfois des années – les familles continuent à honorer régulièrement les morts, à leur apporter repas, alcool, prières.

Et puis vient un moment où l’on décide de « laisser partir ». Le rituel du Pơ Thi marque cette séparation symbolique et définitive entre les vivants et les morts. C’est une grande fête communautaire, qui dure trois jours et trois nuits, où le deuil se transforme en libération.

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On tue plusieurs buffles, symbole d’abondance, de sacrifice, et on sculpte des statues, on érige des poteaux ornés de figures totémiques, on danse, on boit du rượu cần, on frappe les gongs et on chante pour célébrer le passage de l’âme dans l’autre monde. C’est aussi un moment de rencontres amoureuses, où les jeunes profitent de la fête pour se découvrir.

Une fois le Pơ Thi accompli, la maison funéraire n’est plus entretenue. On n’y retournera plus. La responsabilité envers le défunt est considérée comme terminée. On le laisse partir, vivre sa seconde vie ailleurs.

Des tombes abandonnées, pleines d’histoires

En nous enfonçant plus profondément dans la zone, le paysage devenait plus mélancolique, presque lugubre. Certaines maisons funéraires tombent en ruine, avec leurs toits en tôle rongés par la rouille, leurs poteaux penchés, les bois pourris, les statues à moitié ensevelies par la terre ou envahies de mousse. Ces tombes, jadis pleines de vie rituelle, sont aujourd’hui silencieuses, délestées du regard des vivants.

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Sous les arbres, des tombes très anciennes ne sont plus que quatre pieux de bois marquant les angles d’une tombe disparue. On devine encore parfois des objets du quotidien laissés là : une vieille sacoche, un cadre de vélo rouillé, un poste de radio dont les fils pendent comme les cheveux d’un ancêtre fatigué.

L’émotion nous serrait la gorge. Ce cimetière n’était pas effrayant au sens classique du terme. Il était chargé d’âmes, de mémoires, d’un respect profond pour ceux qui étaient partis.

Une conception du monde différente, mais puissante

Chez les Jrai de Plei Kép, mourir ne signifie pas disparaître. Cela signifie changer de monde. Et ce changement demande des rites, des objets, de l’attention, et surtout du temps. Nous avons été profondément touchés par cette approche de la mort, à la fois pragmatique et poétique.

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En parlant avec un vieil homme du village que nous avons croisé en repartant, il nous a confié que les familles plaçaient parfois tout ce que le défunt possédait dans la tombe : un scooter, une télé, des habits… « Là-bas, il ou elle en aura encore besoin, » disait-il simplement.

Cela m’a fait réfléchir à la manière dont nous, Occidentaux, ritualisons la mort. Ici, tout est vivant, incarné, ritualisé. Il ne s’agit pas seulement de pleurer, mais aussi de fêter, de créer, de se souvenir.

Informations pratiques – Visiter la maison funéraire Jrai à Plei Kép

  • 📍 Localisation : environ 8 km du centre-ville de Kon Tum, direction Plei Kép
  • 🎫 Entrée libre, pas de billetterie – mais visite respectueuse requise
  • ⏱️ Moment idéal : fin d’après-midi pour l’ambiance et la lumière

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🧭 Ce qu’il faut observer :

  • Les statues funéraires Jrai en bois, souvent naïves, parfois crues
  • Les vestiges du rituel Pơ Thi (buffles sculptés, objets sacrés)
  • Les différences entre tombes récentes et anciennes

💬 À savoir : il est possible de parler avec les habitants pour mieux comprendre les croyances – faites-le avec respect et humilité.

Visiter la tomb-house traditionnelle Jrai à Plei Kép n’est pas une visite touristique ordinaire. C’est une plongée intime dans un monde invisible, dans une conception de la mort profondément humaine et culturelle, où le souvenir prend la forme d’une statue, d’une jarre ou d’une fête.

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Grant Nguyen

Grant Nguyễn est notre auteure passionnée et experte en voyages. Diplômée de l'Université nationale de Hanoï, où elle a étudié la langue et la culture française, Grant possède une connaissance approfondie et une passion pour le partage de la culture vietnamienne. Depuis 2017, elle s'est consacrée au secteur du tourisme, explorant chaque coin du Vietnam, du nord au sud. Sa vaste expérience personnelle des voyages à travers le pays lui permet de vous offrir des conseils précieux et des récits captivants. Avec le désir profond de partager ses connaissances et son amour pour le Vietnam, Grant espère inspirer et guider les voyageurs du monde entier à découvrir la beauté et la richesse de cette terre fascinante.
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